La 'réforme macron' du code du travail français

AutorAntoine Jeammaud
CargoAncien professeur à l'Université Lumière-Lyon 2. Centre de recherches critiques sur le droit (Universités de Saint-Etienne et Lyon 2/CNRS)
Páginas273-295
Revista da Academia Brasileira de Direito do Trabalho 273
La “réforme macron” du code du travail français
Antoine Jeammaud
(1)
Avertissement
Le texte ci-dessous est la version française d’un article rédigé à la demande
de la revue espagnole Temas Laborales, publiée à Séville sous le patronage
du Gouvernement de la Communauté autonome d’Andalousie.
Destiné à des lecteurs vivant à l’étranger et non-spécialistes des relations sociales
et du droit du travail français, il livre, sur l’actualité politique locale et sur le droit
français, des informations superflues pour le lecteur français ou vivant en France. De
plus, l’analyse des ordonnances de septembre 2017 reste relativement superficielle.
Son intérêt est peut-être de proposer (dans sa deuxième partie) un tour d’horizon de
ces textes et d’esquisser une appréciation de certaines “mesures” adoptées au titre
de la mise en œuvre du programme du nouveau Président de la République.
(1) Ancien professeur à l’Université Lumière-Lyon 2. Centre de recherches critiques sur le droit (Universités de Saint-Etienne et Lyon
2/CNRS).
Tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 1981, année du premier accès de forces politiques de
gauche au pouvoir d’État depuis 1958 et la naissance de la Cinquième République, ont fait adopter une ou plu-
sieurs lois modifiant amplement le code du travail. Et cela, même depuis l’entrée en vigueur, le 1er mai 2008,
du texte de ce code recomposé par une opération de “recodification à droit constant”, dont certains pensaient
qu’elle allait assurer une plus grande stabilité de ce texte très dense et exceptionnellement sensible aux change-
ments politiques ou aux politiques tant économiques que sociales. Le mouvement de modifications-adjonctions
de dispositifs légales a pourtant repris dès août 2008. Sous la présidence de François Hollande (2012-2017), ce
code a été modifié par plusieurs lois (sans parler d’innombrables décrets), dont trois ont été particulièrement
marquantes: celle du 14 juin 2013 “relative à la sécurisation de l’emploi”, celle du 17 août 2015 “relative au
dialogue social et à l’emploi”, celle du 8 août 2016 “relative au travail, à la modernisation du dialogue social et
à la sécurisation des parcours professionnels” (dite “loi El Khomri”, du nom de la ministre du Travail chargée
de la faire adopter), qui a suscité la vive hostilité d’une partie importante du mouvement syndical, traduite par
de nombreuses manifestations, et dont l’article 1er instituait une commission chargée de proposer une “refon-
dation du code du travail”. On pourrait ajouter à cette trilogie la “loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des
chances économiques” du 6 août 2015. Ce texte, certes, n’a que marginalement affecté le code du travail, mais
il avait d’abord comporté une limitation du montant de l’indemnisation pour licenciement injustifié, alors dé-
clarée inconstitutionnelle avant d’entrer finalement dans le droit positif avec la toute récente réforme. Surtout,
il traduisait la volonté de son inspirateur et défenseur devant le Parlement, Emmanuel Macron, ministre chargé
de l’Économie, de “libérer l’initiative économique” et d’encourager la concurrence, au point que cette loi allait
être baptisée “loi Macron”.
La réforme réalisée par un ensemble de textes législatifs et réglementaires promulgués en septembre 2017 est une
conséquence immédiate du bouleversement politique que la France a connu quatre mois plus tôt. Certes, ce n’est
pas la première fois, dans l’histoire de ce pays, que se manifeste un lien aussi clair entre un événement politique
et un changement dans le domaine du droit du travail. On rappellera que le changement politique de mai-juin
1981 (élection de François Mitterrand, leader du Parti socialiste, à la présidence de la République, suivie de la
dissolution d’une Assemblée nationale dominée par la droite et de l’élection d’une majorité d’Union de la gauche
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appuyant un gouvernement de même obédience (2)) avait ouvert la voie à l’adoption d’une série d’ordonnances et
de lois des années 1982 et 1983 opérant la plus vaste réforme du droit du travail, du droit de la sécurité sociale et
du régime des entreprises publiques (après d’importantes nationalisations) depuis 1945.
Mais les victoires électorales de Mitterrand puis des partis de gauche en 1981 étaient moins imprévisibles,
quelques mois avant les scrutins, que pouvaient l’être, au début de l’année 2017, celles d’Emmanuel Macron à
l’élection présidentielle, puis des candidats de son mouvement En Marche! aux élections législatives. Compte
tenu de l’affaiblissement politique de Hollande et des divisions profondes de la gauche, on attendait alors une
nouvelle “alternance politique” de type classique: l’élection du candidat du parti “Les Républicains” (né en 2015
d’une tentative de relooking de l’Union pour un mouvement populaire (UMP), lui-même né d’une alliance de
gaullistes – de moins en moins “gaullistes” – et de fervents partisans du libéralisme économique) à la présidence
de la République, suivie d’une victoire des candidats de ce parti à l’élection de l’Assemblée nationale, de sorte que
la droite reviendrait au pouvoir d’Etat après les cinq années de présidence de François Hollande et de présence,
dans cette assemblée, d’une majorité instable autour de députés du Parti socialiste censés soutenir l’action du Pré-
sident et de son gouvernement (dirigé depuis 2014 par Manuel Valls) (3). Des élections primaires organisées dans
chaque “camp” avaient désigné François Fillion, candidat de LR sur des positions très “droitières” (afin de tenter
de résister à la montée en puissance du Front national et de sa candidate, Marine Le Pen, fille du fondateur de ce
parti d’extrême-droite), et, après le renoncement de Hollande à solliciter sa réélection, de Benoît Hamon comme
candidat du PS, préféré (avec des propositions assez audacieuses en matière de travail et d’emploi) à M. Valls, censé
représenter l’aile droite de ce parti.
Les événements ne se sont pas pliés à ce scénario. Avec quelques faits marquants.
1º) L’apparition, dès l’été 2016, d’un nouveau candidat, Emmanuel Macron, jeune et ouvertement hostile aux
vues classiques de la social-démocratie. Un candidat issu, comme tant de politiciens français, de l’Ecole nationale
d’administration et membre du corps prestigieux de l’Inspection des finances, mais ayant passé quelques années
à la Banque Rothschild. Un candidat adhérent du PS de 2006 à 2009, nommé en 2012 secrétaire général adjoint
au cabinet du Président Hollande, puis, en 2014, ministre de l’Economie, de l’Industrie et du Numérique du Gou-
vernement Valls, avant de démissionner de ce poste en 2016, après avoir créé son mouvement “En marche !”. Une
candidature qui avait assurément contribué à convaincre Hollande de ne pas se représenter.
2º) Le rapide affaiblissement du candidat Fillon, victorieux de “la primaire de la droite” avec des positions à la
fois pro-business sur le plan économique et social, et conservatrices, voire réactionnaires, sur le plan sociétal. Un
candidat affichant son inspiration chrétienne, mais bientôt dénoncé pour des pratiques malhonnêtes (au point de
faire l’objet d’une poursuite pénale) et révélatrices d’une cupidité insoupçonnée. La perte de soutien de ce candi-
dat dans son propre parti et dans l’électorat de droite, écœuré par son “immoralité” et l’évidence de son ambition
personnelle, devait à coup sûr profiter à la candidature Macron.
3º) La progression constante, observée par les sondages d’opinion, de cette candidature “ni de gauche, ni de
droite”, assortie d’un programme assez flou, dans lequel apparaissaient cependant une réforme du code du travail
(sa “modernisation” en quête de “flexicurité”), l’extension de l’assurance contre le chômage aux salariés démis-
sionnaires et aux travailleurs indépendants, la suppression de l’impôt sur la fortune mais aussi d’un impôt local
supporté par les revenus modestes.
4º) Le poids de deux candidatures qualifiées de “populistes”: celle de M. Le Pen, qui s’attachait à présenter
le FN comme le parti des gens modestes, des ouvriers notamment, victimes de la mondialisation, de l’Europe li-
bérale, et d’une immigration “massive et incontrôlée”; à “la gauche de la gauche”, celle de Jean-Luc Mélenchon,
ancienne figure du PS et ancien ministre, appuyée par son mouvement La France insoumise et imposée à un Parti
communiste très affaibli, qui restait en principe son allié.
(2) Majorité formée par les députés du PS, du Parti communiste (PCF), du Mouvement des radicaux de gauche (MRG), et Gouverne-
ment de Pierre Mauroy, dirigeant socialiste proche de Mitterrand, comprenant quatre ministres communistes (pour la premièrefois
depuis 1946, la fin du Gouvernement provisoire de la République formé à la Libération, l’entrée en vigueur de la Constitution de
1946 et l’élection de la première assemblée de la IV ème République).
(3) La réforme constitutionnelle de 2000 a réduit de sept à cinq la durée du mandat présidentiel. Cette durée est également celle des
“pouvoirs” de l’Assemblée nationale. De sorte que, tous les cinq ans, au printemps, se déroulent l’élection présidentielle puis les
élections législatives, le résultat de la première influençant notoirement les secondes. Les sénateurs sont élus pour neuf ans, mais
le Sénat est renouvelé par tiers tous les trois ans.

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