L'Humanisation du Droit International: La Personne Humaine en tant que Sujet du Droit des Gens/The Humanization of International Law: The Human Person as Subject of the Law of Nations

AutorAntônio Augusto Cançado Trindade
Ocupação do AutorJuiz da Corte Internacional de Justiça (Haia)
Páginas236-268
XI
L´Humanisation du Droit International: La Personne Humaine en
tant que Sujet du Droit des Gens / The Humanization of International
Law: The Human Person as Subject of the Law of Nations
I. La1Présence et la Participation de la Personne Humaine dans l’Ordre
Juridique International en tant que Sujet du Droit des Gens
J’aimerais commencer par exprimer ma gratitude aux autorités de l’Université
Panteion d´Athènes, pour avoir pris l’initiative de cette démarche académique de ce
soir, le 1er juillet 2014. C’est un grand honneur pour moi d´être nommé Docteur Ho-
noris Causa, et cela me donne l’occasion d´échanger personnellement, ici à
l´Université Panteion d´Athènes, avec mes chers collègues et amis de l’École grecque
contemporaine de droit international, avec lesquels j’ai partagé au cours des derniè-
res années des moments mémorables dans le milieu académique, à la fois en Europe
et en Amérique Latine. Je remercie, en particulier, M. Le Recteur, le Professeur Gri-
goris Tsaltas, de l´attention de son addresse d´ouverture, et M. Le Vice-Recteur, le
Professeur Stelios Perrakis, de la gentillesse de sa Laudatio, très significative pour
moi. J’aimerais ajouter qu’il y a déjà longtemps, j’ai appris à apprécier le précieux
héritage de l’époque hellénistique, qui a été marquée par une rare prospérité de
l’apprentissage et des arts, qui a eu des répercussions dans di fférentes latitudes sur
les siècles qu i l’ont suivie.
La Grèce ancienne a été témoin de l’apparition de la grammaire et de la criti-
que de textes (en tant que nouvelle discipline), de la littérature elle-même (poésie,
tragédies et comédies); elle a cultivé la philosophie et la sculpture; elle a vu les
théâtres se multiplier; elle a influencé la naissance ultérieure du droit (à l’époque
romaine), avec un sens profond de la justice. De façon significative, la profonde in-
fluence du stoïcisme dans la pensée hellénistique a ouvert la voie à l’humanisme.
Nous avons des raisons d’être reconnaissants, en Europe et en Amérique Latine,
pour l’héritage grec que représente la pensée humaniste.
C’est dans le cadre de cette pensée humaniste que je propose de traiter mon
sujet aujourd’hui, lors de la cérémonie organisée dans cette Université Panteion
Athènes. Il s’agit du sujet suivant: “L’humanisation du Droit international: La personne
humaine en tant que sujet du droit des gens/The Humanization of International Law: The
Human Person as Subject of the Law of Nations. Pour apprécier les développements dans
1 Discurso proferido pelo Autor na sessão solene de outorga do título de Doutor Honoris
Causa da Universidade Panteion de Atenas, realizada no salão-nobre da referida Universidade,
em Atenas, Grécia, em 01 de julho de 2014.
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A HUMANIZAÇÃO DO DIREITO INTERNACIONAL
le droit des gens contemporain, il est nécessaire de commencer par se tourner, même
brièvement, vers les origines de notre discipline, et donc vers les origines du jus gen-
tium tel qu’il est venu à être compris, englobant des Etats, des peuples et des individus.
1. La personne humaine dans la pensée jusnaturaliste du droit des gens
L’importance considérable attribuée à la personne humaine dans le cadre du
droit des gens par les célèbres “pères fondateurs” de la discipline ne devrait pas être
oubliée à notre époque. Au cours du XVIe siècle, la conception de Francisco de Vito-
ria (auteur des célèbres Relecciones Teológicas, 1538-1539) s’est développée, et selon
elle, le droit des gens régule une communauté internationale (totus orbis) constituée
d’êtres humains organisés socialement en Etats et conforma nt l’humanité; la répara-
tion des violations des droits (de l’homme) reflète une nécessité internationale satis-
faite par le droit des gens, avec les mêmes principes de justice s’appliquant à la fois
aux États et aux individus et peuples qui les forment2. Au XVIIe siècle, dans la vision
avancée par Francisco Suárez (auteur du traité De Legibus ac Deo Legislatore, 1612), le
droit des nations révèle l’unité et l’universalité de l’humanité et régule les Etats dans
leurs relations en tant que membres de la société universelle.
Peu de temps après, au XVII e siècle, la conception élaborée par Hugo Grotius
(De Jure Belli ac Pacis, 1625), supporte l’idée que la societas gentium comprend l’en-
semble de l’humanité et la communauté internationale ne peut pas prétendre se
baser sur la voluntas de chaque État individuel; les êtres humains – occupant une
position centrale dans les relations internationales – ont des droits vis-à-vis de l’État
souverain qui ne peuvent pas forcer l’obéissance de leur citoyens de manière absolue
(l’impératif du bien commun), car la fameuse “raison d’État” a ses limites et ne peut
pas se détourner du Droit. Dans cette ligne de pensée, encore au XVII e siècle, Samuel
Pufendor f (De Jure Naturae et Gentium, 1672) soutient aussi l’idée de l’assujettissement
du législateur à la raison alors que, au XVIIIe siècle, Christian Wolff (Jus Gentium
Methodo Scientifica Pertractatum, 1749) pense que comme les individus devraient –
dans leur association à l’Etat – promouvoir le bien commun, l’Etat, à son tour, a le
devoir corrélatif de rechercher sa perfection3.
La personnification ultérieure de l’État tout puissant, inspirée surtout de la
philosophie du droit de Hegel, a eu une influence néfaste sur l’évolution du droit
international à la fin du XIXe siècle et dans les premières décennies du XXe siècle.
2 À son tour, Alber ico Gentili (auteur de De Jure Belli, 1598) soutenait, à la fin du XVIe siècle,
que le Droit gouverne les relations entre les membre s de la societas gentium universelle.
3 A.A. Cançado Trind ade, “A Consolidação da Personalidade e da Capacidade Jurídicas
do Indivíduo como Sujeito do Direito Inter nacional”, 16 Anuario del Instituto Hispano-
Luso-Americano de Derecho Internacional – Madrid (2003) pp. 240-247; A.A. Cançado
Trindade, “Vers la consolidation de la capacité jur idique internationale des pétitionnai res
dans le système inter américain des droits de la personne”, in 14 Revue québécoise de Droit
international (2001) n. 2, pp. 207-239.
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ANTÔNIO AUGUSTO CANÇADO TRINDADE
Cette tendance doctrinale a résisté du mieux qu’elle pouvait à l’idéal de l’émancipa-
tion de l’être humain du contrôle absolu de l’Etat et à la reconnaissance de l’individu
comme sujet de Droit International. Mais la soumission de l’individu à la “volonté
de l’État n’a jamais parue convaincante, et a vite été ouvertement remise en question
par la doctrine plus lucide. L’idée d’une souveraineté absolue de l’Etat, – qui a
conduit à l’irresponsabilité et à la présumée omnipotence de l’Etat, n’empêchant pas
les atrocités successives commises par lui (ou en son nom) contre les êtres humains,
– est apparue avec le passage du temps comme entièrement non fondée.
Dans son étude sur La morale internationale (1944), publié pendant la IIe.
guerre mondiale, N. Politis attirait l´attention, avec des références à des leçons des
tragédie s d´Eschyle et d ´Euripide4, sur le nécessaire équ ilibre – toujours avec tension
– entre la légalité et la justice. La pensée humaine, aux XVIIIe et XIXe siècles, se mon-
trait déjà consciente de cet équilibre nécessaire; cette conviction a graduellement
commencé à pénétrer dans la consc ience humaine5. N. Politis a averti, avec perspica-
cité, qu´“[à] la différence des profits de l´injustice et de l´il légalité, qui, s´ils peuvent
être rapides, ne sont pas assurés de durer, ceux de la justice et de la légalité, sans
doute plus lents, sont certainement plus durables”6. Au cours de tout le XXe siècle, la
pensée humaniste a resisté aux tyrannies, et a reconnu la nécessité impérieuse des
valeurs, beaucoup plus importantes que la volonté7.
L’État – il est reconnu de nos jours – est responsable de tous ses actes (à la fois jure
gestionis et jure impe rii ), ainsi que de toutes ses omissions8. En cas de violation des droits
de l’homme, l’accès direct de l’individu à la juridiction internationale est donc totalement
justifié pour défendre ces droits, même contre son propre État9. À partir des travaux
ayant résulté en une résolution prise par l´Institut de Droit International en 1929, S. Séfé-
riadès a donné un cours à l´Académie de Droit International de La Haye en 1935, dans
lequel il a soutenu l´accès direct des individus à des juridictions internationales, pour
améliorer “la justice de ce monde”. Il s´agissait d´une vraie nécessité; à son avis,
“[l]a protection diplomatique s´efface ainsi complètement lorsque la justice apparaît.
Devant elle, ce n´est plus l´État protecteur qui se présente, mais, directement, le particul ier
interéssé lui-même: c´est celui-ci qui parle”
10
.
4 N. Politis, La morale internation ale, New York, Brentano´s, 1944, pp. 100, 102 et 157.
5 Ibid., p. 158, et cf. p. 164.
6 Ibid., pp. 161-162.
7 Cf. R.P. Sertillanges, Le problème d u mal – l´Histoire, Paris, Aubier, 1948, pp. 395-397.
8 Ibid., pp. 247-259.
9 S. Glaser, “Les droits de l’homme à la lumière du droit inter national positif ”, in Mélanges
offerts à H. Rolin – Problèmes de droit des gens, Paris, Pédone, 1964, pp. 117-118, et cf. pp.
105 -106 et 114 -116.
10 S. Séféria dès, “Le problème de l´accès des particuliers à des ju ridictions intern ationales”,
51 Recueil des Cours de l´Académie de Droit International de La Haye (1935) p. 31, et cf.
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